
En liten artikel från när Frankrike vann VM i Zagreb i år!
En remportant le championnat du monde de handball contre la Croatie, les joueurs français deviennent les stars les plus titrées du sport tricolore.
Ce lundi 2 février, il est 5 heures, Zagreb s’éveille à peine. Et, bien qu’il fasse encore nuit, les éclairages extérieurs de l’hôtel Westin, base arrière des Bleus pendant le Mondial, permettent de distinguer une silhouette de déménageur : 1,95 mètre, 105 kilos. Nikola Karabatic rentre d’une soirée bien arrosée : dans un bar proche du palace, le nouveau champion du monde a fêté son titre avec ses copains et... les Croates ! Andrej Golic, ancien international français d’origine serbe, avait organisé ces retrouvailles entre les deux meilleurs ennemis du handball mondial. « Tu ne rentres que maintenant ? » demande ce supporter, les yeux mi-clos, à moitié avachi sur le canapé de la réception. « Pas du tout ! s’amuse le joueur de 24 ans, un sourire scotché à sa gueule d’ange. Je suis allé voir si une boulangerie était ouverte et je repars me coucher... » Le Français n’en croit pas un mot. Tout comme ces deux jolies filles, déçues, qui guettaient le retour du guerrier pour l’aider au repos. Mais Nikola ira dormir pour de bon, seul dans sa chambre. Il quittera dans quelques heures la Croatie, terre de son père. Celle-là même qui, au lendemain d’une défaite, va se réveiller avec un sacré mal de tête. Nikola aussi. Pas pour les mêmes raisons...
Car la soirée avait commencé très tôt pour les Experts : dès la fin du match, dans les vestiaires. Après les passages plus ou moins calmes de Roselyne Bachelot, ministre des Sports, et Bernard Laporte, secrétaire d’Etat, les Bleus se lâchent enfin. Dans un capharnaüm indescriptible, les bières se descendent par dizaines, au goulot. D’un seul trait, souvent. On se croirait dans un bar où l’on aurait disposé des tables de massage et répandu des chaussures de sport. Posées sur un banc, les enceintes d’un iPod crachent du rap américain. Certains exultent en frappant contre les murs. A l’extérieur, les agents de sécurité croates ont du mal à cacher leur agacement. Mais que peut-on refuser à des champions du monde ? Puis la fête se poursuit au Westin, dans la suite 900. « Tout ce que la main n’atteint pas est un rêve... Mais là, on nage en pleine réalité ! »
De la bière, uniquement. «C’est notre champagne à nous !»
Bière à la main, Joël Abati philosophe. Sa médaille d’or autour du cou, celui qu’on appelle respectueusement « le révérend », car il est très croyant, commence à réaliser : « Battre les Croates chez eux, c’est fort, quand on y pense ! » Dans le salon, le capitaine Jérôme Fernandez et Michaël Guigou reprennent en chœur une chanson paillarde parlant d’une certaine « Chantal », tandis que Daniel Narcisse efface les messages de son répondeur avant qu’il ne soit saturé. « Quelqu’un a commandé à boire ou faut-il que je m’en occupe personnellement ? » plaisante Christophe Kempé. Le groom de l’hôtel ne peut s’empêcher de sourire avant de repartir en cuisine chercher du ravitaillement pour les champions. De la bière, uniquement. « C’est notre champagne à nous », crie un membre du staff. Dans le couloir, l’animateur Jean-Luc Reichmann, mascotte de l’équipe, se lance dans une imitation de son pote Bernard Laporte. Pendant ce temps, dans le hall, les supporters français s’exercent aussi au « lever de coude ». Dans une ambiance calme, ils refont le match.
« Il ne pouvait rien leur arriver, explique celui-là, perruque tricolore sur la tête. Ils étaient en état de grâce. » Les femmes de joueurs, elles, discutent dans un coin en attendant leurs héros. « Vous savez où ils sont passés ? » fait semblant de s’inquiéter Paulette Abati. « C’est toujours la même chose, enchaîne Lisa Kempé, qui tient dans ses bras son dernier-né, Alexandre, 3 mois. Ils ont besoin de nous quand ils perdent, mais ils restent entre eux quand ils gagnent ! » Et gagner, les Experts en ont pris la délicieuse habitude ces dernières années, jusqu’à détenir aujourd’hui le plus beau palmarès du sport collectif tricolore. Pour Jérôme, venu faire un bisou à « sa » Lisa : « Haïr la défaite ne s’apprend pas, ça se cultive. Ensemble ! ajoute-t-il aussitôt. Impossible de partir seul au combat. »
Les supporters croates n'ont paslâché Karabatic de toute la compétition
Mais les Croates ont fait l’erreur de se focaliser sur un seul homme, Nikola Karabatic, le Zidane du handball, oubliant que l’équipe de France était un groupe de 17 joueurs. Parce qu’il est né en Serbie, les médias locaux ont toujours exigé davantage de l’adorable garçon, incapable de dire non aux sollicitations. « J’avoue que ça a été difficile à vivre par moments, mais je ne pouvais pas leur dire non. » Les supporters, eux, savent trop bien que « le traître », comme ils l’ont surnommé, comprend le serbo-croate. Et, donc, les insultes. Ils ne l’ont pas lâché de toute la compétition, le sifflant dès qu’il touchait la balle. « A ce niveau-là, confie l’intéressé, les tentatives de déstabilisation font partie du jeu. Je prends ça comme une marque de respect. » Pour sa maman, Radmira, dite « Lala », serbe, c’est l’incompréhension. Mais le papa Branko, croate, a une explication : « Quand vous entendez des chiens aboyer aux abords des villages, ce n’est pas pour vous agresser. C’est parce qu’ils ont peur. Ils savaient que Nikola pouvait voler leur rêve : devenir champions du monde chez eux. » Quand Branko dit « chez eux », c’est, en fait, beaucoup de chez lui dont il parle. A la fin du match, les yeux embués, il peine à trouver des mots qui s’entrechoquent dès qu’il ouvre la bouche. L’émotion est trop grande pour l’ancien handballeur. « J’ai le cœur coupé en deux, souffle-t-il, avant d’essuyer discrètement une larme. Je suis fou de joie pour “Niko”, mais j’ai de la peine pour tous ces supporters. Vous entendez la chanson qu’ils passent ? Elle dit : “Allez au bout de vos rêves.” Le leur est brisé. »
Pourtant, à la sortie du match, dans un froid glacial, des dizaines de Croates attendent un autographe de celui qui leur appartient aussi un peu. Croatie-France, toute l’histoire de la vie de Nikola Karabatic. Né à Nils, en 1984, le petit n’a pas 4 mois quand son père part jouer en Alsace. « Je suis fier de lui, raconte aujourd’hui le fils. Comment pourrais-je lui en vouloir ? A sa place, j’aurais fait la même chose. » Elevé par sa maman, Lala, et sa grand-mère, Vera, Nikola est un enfant hyperactif. « On faisait des tours de voiture pour qu’il s’endorme. Il avait déjà la bougeotte », se souvient Lala. En 1988, la mère et le fils rejoignent Branko. « Mes parents, ne parlant pas un mot de français, m’ont rapidement inscrit à l’école pour ne pas avoir de lacunes. Je les en remercie. C’est peut-être de là que me vient ma facilité pour les langues. » Aujourd’hui, le joueur de Kiel, en Allemagne, en parle cinq.
Mais des facilités, il en a dans beaucoup de matières, si l’on en juge par son parcours scolaire exceptionnel pour un joueur de haut niveau : l’adolescent, dont la langue maternelle est le serbo-croate, obtient 18 à l’écrit au bac de français, 18 à l’oral et 15,5 au bac scientifique, mention bien en poche ! « Je me suis beaucoup identifié à mon père, à la fois très fort en sport [il a été gardien de l’équipe d’ex-Yougoslavie lors des JO de Moscou en 1980] et très intelligent. J’ai sûrement cherché à l’égaler. » Champion d’Europe et du monde, médaillé d’or olympique, il a largement dépassé ses attentes. « Maintenant qu’il a tout gagné, il peut arrêter sa carrière, s’amuse Branko. Sur un terrain, le Croate devient hargneux. C’est un soldat prêt à défendre ses couleurs. » Pour Lala, les origines slaves de son fils ont aussi forgé son caractère : « Il est têtu. Quand il veut quelque chose, il fait tout pour l’avoir. » Idem pour les petites copines ? « C’est un sujet que je ne veux plus aborder avec lui, confie-t-elle. Je m’étais trop attachée à son ex-petite amie. » En attendant de trouver la femme de sa vie, Niko a pour projet de partir cet été avec Luka, son petit frère, faire le tour des îles croates. « Ma culture est française, mais je n’oublie pas mes origines d’ex-Yougoslavie. J’ai encore tellement à découvrir ! »
Là-bas ou ici, de toute façon, il est comme à la maison...